LES TREIZE DESSERTS

La naissance des treize desserts

La première mention des treize desserts n'apparaît qu'en 1925. Dans un numéro spécial de Noël du journal La Pignato, un écrivain d'Aubagne, le docteur Joseph Fallen, majoral du Félibrige, affirme : « Voici une quantité de friandises, de gourmandises, les treize desserts : il en faut treize, oui treize, pas plus si vous voulez, mais pas un de moins »

Dans son énumération, viennent en tête les pachichòis, autre nom des quatre mendiants (figue, amande, noix et raisin sec) qui doivent servir pour faire le nougat du pauvre ou nougat des capucins. Suivent les noisettes, les pistaches, et le raisin muscat. Puis viennent les sorbes, les dattes, les pommes, les poires, les oranges et « le dernier melon un peu ridé ». La liste s'allonge avec les grappes de clairette, les pots de confiture, l'eau de coing, les châtaignes au vin cuit. Puis arrivent les desserts de tradition, la pompe à l'huile d'olive, la fougasse, les oreillettes, les nougats blanc, noir et rouge, les petits biscuits et les sucreries, et même du fromage.

L'année suivante, la romancière Marie Gasquet écrit, dans Une enfance provençale, qu'à Noël « il faut treize desserts, treize assiettes de friandises, douze qui versent les produits du pays, du jardin, la treizième beaucoup plus belle, remplie de dattes ».

Au début des années 1930, le Musée du Terroir Marseillais consacre une salle au repas de Noël ; la tradition commence à s'installer. Elle est bien établie en 1946. Tounin Virolaste, chroniqueur de l'Armana prouvençau, rappelant qu'au Museon Arlaten, Frédéric Mistral n'en avait fait mettre qu'onze sur la table du gros souper, il indique : « Dans le Comtat Venaissin, le peuple veut qu'il y en ait treize, et sûrement dans d'autres endroits aussi. Va pour treize ! ». La tradition comtadine avait prévalu.

Plus que la symbolique du nombre 13, qui leur a forgé leur identité provençale, les desserts du gros souper se rattachent à une tradition d'opulence commune à d'autres sociétés méditerranéennes.

Cette accumulation de douceurs se retrouve chez les juifs sépharades lors du Roch Hachana où se dégustent figues, amandes, raisins et turrado (nougat). Il en est de même chez les Grecs d'Égypte au cours des fêtes marquant le changement d'année. Dans la maison, est tenu à la disposition des hôtes et des visiteurs un plateau empli d'amandes, de noisettes, de noix, de pruneaux et de châtaignes.

La Catalogne célèbre Noël dans l'abondance avec touron, fruits secs, pâtisseries à base de pâte d'amande, de miel et d'épices. Le Languedoc a lui aussi adopté les treize desserts où la carthagène remplace le vin cuit. La tradition veut que, repas fini, tout soit laissé en place, y compris les miettes qui parsèment la table. Ces restes sont censés servir de nourriture aux esprits qui rôdent dans la maison et aux défunts de la famille. Les Arméniens de Marseille ont fait de même. Pour leur jour de Noël, qui se fête le 6 janvier, ils présentent les treize desserts accompagnés de leurs pâtisseries spécifiques.

 Les 13 desserts

LOU CACHO-FIO

En Provence, une des plus vieilles traditions était le cacho-fio. Les anciens disaient : bouta cacho-fio, soit bouter le feu à la bûche. Cette cérémonie qui n'existe pratiquement plus aujourd'hui , avait  lieu devant la cheminé du séjour, juste avant le Gros Souper le jour du réveillon de Noël.

Le plus âgé de la famille emmenait le plus jeune choisir la plus grosse bûche dans la réserve afin qu'elle dure le plus longtemps possible. Elle devait être issue d'arbres fruitiers  tels que l'olivier, le cerisier, l'amandier... La bûche choisie devait alors bruler durant trois jours et trois nuits.
Tous les convives devaient alors faire trois fois (symbole de la Trinité) le tour de la table, elle même recouverte de trois nappes. Le plus jeune arrosait de vin la bûche à l'aide d'un rameau trempé dans un verre de vin cuit, tandis que l'aïeul prononçait les paroles de bénédiction, en provençal :

Bûche de Noël,
Donne le feu
Réjouissons nous
Dieu nous donne la joie
Noël vient, tout vient bien
Dieu nous fasse la grâce de voir l’an qui vient
Et si nous ne se sommes pas plus
Que nous ne soyons pas moins

LA CEREMÒNIÈ DÓU CACHO FIÒ

Alors, tóutis ansin, anavian à la croto querre la plus belle souco, toujour d’un aubre fruchau. É fau que siegue grosso pèr brula senso jamai s’amoussa (3) tres jour é (2) dos nieu de tèms. Aquest an, es uno bello souco d’emperussié qu’ai chausido.

En d’autre tèms, moun grand tenié la souco d’un cousta, e iéu, lou caganis de la famiho, la tenièu de l’autre caire ; Coumo tóuti dous aro.

Mai avans d’ana faire la ceremòuniè dóu cacho-fiò dins la chaminèio, fasiéu (3) très cop lou tour de la grando taulo.

Ah ! veici li (3) très touaio, e li (3) très candelié, e li très sietoun de blad greia. Tout acó es bèn adouba.

Mai, avans que lou cacho fiò s’embraso, anan lou benesi emè un got de vin cue.

« Alegre, alegre, mi bèu enfant

Que Diéu nous alègre.

Nouvè vèn, tout vèn bèn

Diéu nous faguè la graci

De veire l’an que vèn

É, que si sian pas mai

Au mèns fuguen pas mens. »

LE GROS SOUPER (Lou gros soupa) et l'AIGO BOULIDO

La table dressée comportait trois nappes de taille décroissante : une pour le « gros souper », une pour le repas du jour de Noël, le lendemain midi — repas composé de viandes —, et enfin la dernière pour le soir du 25 où les restes trônent sur la table. Sur ces nappes, on dépose les lentilles ou les blés de la Sainte-Barbe (plantés dans une assiette pour les faire germer le 4 décembre, jour de la Sainte-Barbe), une branche de houx pour apporter le bonheur ainsi que trois bougies. Le pain, posé à l’endroit, est coupé en trois : la « part du pauvre », la « part des convives » et la « part fétiche » qu’on conserve dans une armoire. Il ne faut pas oublier de mettre un couvert de plus : le couvert du pauvre. « Pauvre » désigne celui qui est décédé mais ce peut être aussi un mendiant qui passe et demande l’aumône. La part du pauvre est une survivance de la manne que les Romains offraient à leurs ancêtres.

Le repas maigre n'en était pas moins fastueux. Il commençait par l'aigo boulido, se continuait par des plats de poissons dont l'alose à l'étouffée, la morue à la raïto, et de légumes, dont les épinards aux escargots. Après avoir dégusté les sept plats maigres de poissons et de légumes, on pose sur la table les treize desserts que l’on mangeait au retour de la messe de minuit avec le vin cuit et, pour les affamés, on servait la petite oie, dont on apprêtait le cou, les bouts d'ailes, les pieds, le gésier et autres issues, et qui a été remplacée par la dinde de Noël.

l'AIGO BOULIDO (l'eau bouillie)

L'aigo boulido faisait originellement partie du gros souper servi en Provence, la veille de Noël. L'eau, dans laquelle avait bouilli la sauge, était versée sur des tranches de pain rassis frottées d'ail frais et recouvertes d'un filet d'huile d'olive. Elle est aujourd'hui considérée comme un mets d'après festivités et de diète et l'on fait bouillir l'ail avec l'eau.

Un proverbe l'accompagne traditionnellement : L'aigo boulido sauvo la vido, ce qui signifie : « L'eau bouillie sauve la vie », et souligne à la fois les effets bénéfiques de cette soupe et son aspect économique.